En septembre - Paul Verlaine

Parmi la chaleur accablante
Dont nous torréfia l'été,
Voici se glisser, encor lente
Et timide, à la vérité,

Sur les eaux et parmi les feuilles,
Jusque dans ta rue, ô Paris,
La rue aride où tu t'endeuilles
De tels parfums jamais taris,

Pantin, Aubervilliers, prodige
De la Chimie et de ses jeux,
Voici venir la brise, dis-je,
La brise aux sursauts courageux...

La brise purificatrice
Des langueurs morbides d'antan,
La brise revendicatrice
Qui dit à la peste : va-t'en !

Et qui gourmande la paresse
Du poëte et de l'ouvrier,
Qui les encourage et les presse...
"Vive la brise !" il faut crier :

"Vive la brise, enfin, d'automne
Après tous ces simouns d'enfer,
La bonne brise qui nous donne
Ce sain premier frisson d'hiver !"


Il a plu un soir de juin - Charles Guérin

Il a plu. Soir de juin. Ecoute,

Par la fenêtre large ouverte,

Tomber le reste de l'averse

De feuille en feuille, goutte à goutte.

 

C'est l'heure choisie entre toutes

Où flotte à travers la campagne

L'odeur de vanille qu'exhale

La poussière humide des routes.

 

L'hirondelle joyeuse jase.

Le soleil déclinant se croise

Avec la nuit sur les collines ;

 

Et son mourant sourire essuie

Sur la chair pâle des glycines

Les cheveux d'argent de la pluie.

L'aube de juin - Paul Claudel

Le dernier rêve s'est enfui,

Une lune sans couleur

Trépasse au fond de la nuit.

Qu'ai-je fait de la douleur ?

Le jour nouveau, il a lui !

Vite, levons-nous sans bruit !

Quelle est cette divine odeur ?

Le dernier rossignol s'est tu

Turlututu !

Il est cinq heures du matin.

Un ange chante en latin.

Juin pendant que je dormais

S'est mis à la place de mai.

C'est lui qui vient de m'octroyer

Cette rose de pleurs noyée.

La terre a reçu le baptême.

Bonjour, mon beau soleil, je t'aime !

Un peu mouillé mais tout neuf,

Le voici qui sort de son œuf,

Rouge comme un coquelicot.

Cocorico !

Tant de gaîté, tant de rire,

La caille qui tirelire,

Le bœuf et le gros cheval

Qu'on mène chez le maréchal,

Comme un enfant à mon cou

Le baiser du vent sur ma joue,

Tant de clarté, tant de mystère,

Tant de beauté sur la terre,

Tant de gloire dans les cieux,

Que plein de larmes le vieux

Poète reste à quia

Alléluia !


Mai - Guillaume Apollinaire

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

Des dames regardaient du haut de la montagne

Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne

Qui donc a fait pleurer les saules riverains ?

 

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

Les pétales tombés des cerisiers de mai

Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée

Les pétales flétris sont comme ses paupières

 

Sur le chemin du bord du fleuve lentement

Un ours un singe un chien menés par des tziganes

Suivaient une roulotte traînée par un âne

Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes

Sur un fifre lointain un air de régiment

 

Le mai le joli mai a paré les ruines

De lierre de vigne vierge et de rosiers

Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes


Janvier est revenu

 

Janvier est revenu. Ne crains rien, noble femme !

Qu'importe l'an qui passe et ceux qui passeront !

Mon amour toujours jeune est en fleur dans mon âme ;

Ta beauté toujours jeune est en fleur sur ton front.

Sois toujours grave et douce, ô toi que j'idolâtre ;

Que ton humble auréole éblouisse les yeux !

Comme on verse un lait pur dans un vase d'albâtre,

Emplis de dignité ton coeur religieux.

Brave le temps qui fuit. Ta beauté te protège.

Brave l'hiver. Bientôt mai sera de retour.

Dieu, pour effacer l'âge et pour fondre la neige,

Nous rendra le printemps et nous laisse l'amour.

— Victor Hugo,

Dernière gerbe


Novembre - Victor Hugo

Quand l'Automne, abrégeant les jours qu'elle dévore,

Éteint leurs soirs de flamme et glace leur aurore,

Quand Novembre de brume inonde le ciel bleu,

Que le bois tourbillonne et qu'il neige des feuilles,

Ô ma muse ! en mon âme alors tu te recueilles,

Comme un enfant transi qui s'approche du feu.

 

Devant le sombre hiver de Paris qui bourdonne,

Ton soleil d'orient s'éclipse, et t'abandonne,

Ton beau rêve d'Asie avorte, et tu ne vois

Sous tes yeux que la rue au bruit accoutumée,

Brouillard à ta fenêtre, et longs flots de fumée

Qui baignent en fuyant l'angle noirci des toits.

 

Alors s'en vont en foule et sultans et sultanes,

Pyramides, palmiers, galères capitanes,

Et le tigre vorace et le chameau frugal,

Djinns au vol furieux, danses des bayadères,

L'Arabe qui se penche au cou des dromadaires,

Et la fauve girafe au galop inégal !

 

Alors, éléphants blancs chargés de femmes brunes,

Cités aux dômes d'or où les mois sont des lunes,

Imans de Mahomet, mages, prêtres de Bel,

Tout fuit, tout disparaît : - plus de minaret maure,

Plus de sérail fleuri, plus d'ardente Gomorrhe

Qui jette un reflet rouge au front noir de Babel !

 

C'est Paris, c'est l'hiver. - A ta chanson confuse

Odalisques, émirs, pachas, tout se refuse.

Dans ce vaste Paris le klephte est à l'étroit ;

Le Nil déborderait ; les roses du Bengale

Frissonnent dans ces champs où se tait la cigale ;

A ce soleil brumeux les Péris auraient froid.

 

Pleurant ton Orient, alors, muse ingénue,

Tu viens à moi, honteuse, et seule, et presque nue.

- N'as-tu pas, me dis-tu, dans ton cœur jeune encor

Quelque chose à chanter, ami ? car je m'ennuie

A voir ta blanche vitre où ruisselle la pluie,

Moi qui dans mes vitraux avais un soleil d'or !

 

Puis, tu prends mes deux mains dans tes mains diaphanes ;

Et nous nous asseyons, et, loin des yeux profanes,

Entre mes souvenirs je t'offre les plus doux,

Mon jeune âge, et ses jeux, et l'école mutine,

Et les serments sans fin de la vierge enfantine,

Aujourd'hui mère heureuse aux bras d'un autre époux.

 

Je te raconte aussi comment, aux Feuillantines,

Jadis tintaient pour moi les cloches argentines ;

Comment, jeune et sauvage, errait ma liberté,

Et qu'à dix ans, parfois, resté seul à la brune,

Rêveur, mes yeux cherchaient les deux yeux de la lune,

Comme la fleur qui s'ouvre aux tièdes nuits d'été.

 

Puis tu me vois du pied pressant l'escarpolette

Qui d'un vieux marronnier fait crier le squelette,

Et vole, de ma mère éternelle terreur !

Puis je te dis les noms de mes amis d'Espagne,

Madrid, et son collège où l'ennui t'accompagne,

Et nos combats d'enfants pour le grand Empereur !

 

Puis encor mon bon père, ou quelque jeune fille

Morte à quinze ans, à l'âge où l'œil s'allume et brille.

Mais surtout tu te plais aux premières amours,

Frais papillons dont l'aile, en fuyant rajeunie,

Sous le doigt qui la fixe est si vite ternie,

Essaim doré qui n'a qu'un jour dans tous nos jours.


Octobre est doux. – L’hiver pèlerin s’achemine

Au ciel où la dernière hirondelle s’étonne.

Rêvons… le feu s’allume et la bise chantonne.

Rêvons… le feu s’endort sous sa cendre d’hermine.

 

L’abat-jour transparent de rose s’illumine.

La vitre est noire sous l’averse monotone.

Oh ! le doux « remember » en la chambre d’automne,

Où des trumeaux défunts l’âme se dissémine.

 

La ville est loin. Plus rien qu’un bruit sourd de voitures

Qui meurt, mélancolique, aux plis lourds des tentures…

Formons des rêves fins sur des miniatures.

 

Vers de mauves lointains d’une douceur fanée

Mon âme s’est perdue ; et l’Heure enrubannée

Sonne cent ans à la pendule surannée…

 

Albert Samain, Au jardin de l’infante


Couchant d'août - Anatole Le Braz

Voici venir vers nous le soir aux yeux de cendre,

Clairs encor d'un reflet de la braise du jour

Dans le couchant d'août, ma mie, allons l'attendre,

Parmi l'or pâlissant de notre été d'amour.

Nous lui dirons : « Sois pur, soir pacifique et tendre,

Fraîcheur des champs brûlés, repos des membres lourds,

Oh ! ne te hâte point, soir béni, de descendre

Vers les grands pays d'ombre oh doit finir ton cours !

Laisse-nous savourer ton délice éphémère,

Passant sacré, porteur de l'urne balsamaire

D'où s'épand sur le monde un miel immense et doux.

Nos fronts que le soleil a brunis de son hâle

Déjà penchent... Du moins, prolonge un peu sur nous

Le mystique frisson de l'heure occidentale.

Et nous t'adorerons, ô soir, à deux genoux. »


Nuits de juin

Victor Hugo

L’été, lorsque le jour a fui, de fleurs couverte

La plaine verse au loin un parfum enivrant ;

Les yeux fermés, l’oreille aux rumeurs entrouverte,

On ne dort qu’à demi d’un sommeil transparent.

Les astres sont plus purs, l’ombre paraît meilleure ;

Un vague demi-jour teint le dôme éternel ;

Et l’aube douce et pâle, en attendant son heure,

Semble toute la nuit errer au bas du ciel.

Victor Hugo, Les rayons et les ombres


Titre : Mois de mai.

Poète : François Coppée (1842-1908)

 

Recueil : Les mois (1878).

Depuis un mois, chère exilée,
Loin de mes yeux tu t'en allas,
Et j'ai vu fleurir les lilas
Avec ma peine inconsolée.

Seul, je fuis ce ciel clair et beau
Dont l'ardente effluve me trouble,
Car l'horreur de l'exil se double
De la splendeur du renouveau.

En vain j'entends contre les vitres,
Dans la chambre où je m'enfermai,
Les premiers insectes de Mai
Heurter leurs maladroits élytres ;

En vain le soleil a souri ;
Au printemps je ferme ma porte
Et veux seulement qu'on m'apporte
Un rameau de lilas fleuri ;

Car l'amour dont mon âme est pleine
Retrouve, parmi ses douleurs,
Ton regard dans ces chères fleurs
Et dans leur parfum ton haleine.

François Coppée.

 


Voici venir le mois d'avril - Robert Desnos

Voici venir le mois d'avril,
Ne te découvre pas d'un fil.
Écoute chanter le coucou !

 

Voici venir le mois de juin,
C'est du bon temps pour les Bédouins,
J'écoute chanter le coucou.

 

Voici venir la Saint-Martin,
Adieu misère, adieu chagrin,
Je n'écoute plus le coucou.

 


MARS

Mars, le mois des fous,
Qui s'amuse et bafoue
Les lois, même de la nature.
Un jour l'hiver perdure
Un autre, l'été semble être là.
Mars, long mois plein de falbalas
Où, la nature, enfin, s'éveille
Après de longs mois de veille.

Les animaux sortent de leur torpeur
Au milieu de ces jours trompeurs,
Dans un environnement prometteur.
Mais, rien n'arrête ce vilain rouspéteur,
Qui n'en fait qu'à sa tête,
Et, comme une vedette,
Annonce le retour du Printemps,
Dans une orgie de coloris, promettant,
L'éclosion de la vie insolente
Telle une immense vague déferlante.


Que j’aime le premier frisson d’hiver…

Alfred de Musset

Que j’aime le premier frisson d’hiver ! Le chaume,
Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !
Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,
Au fond du vieux château s’éveille le foyer ;

 

C’est le temps de la ville. – Oh ! Lorsque l’an dernier,
J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
(J’entends encore au vent les postillons crier),

 

Que j’aimais ce temps gris, ces passants et la Seine
Sous ses mille falote assise en souveraine !
J’allais revoir l’hiver. – Et toi, ma vie, et toi !

 

Oh ! Dans tes longs regards j’allais tremper mon âme
Je saluais tes murs. – Car, qui m’eût dit, madame,
Que votre cœur sitôt avait changé pour moi ?

 

Alfred de Musset


Voici que la saison décline

Victor Hugo

Voici que la saison décline,
L’ombre grandit, l’azur décroît,
Le vent fraîchit sur la colline,
L’oiseau frissonne, l’herbe a froid.

 

Août contre septembre lutte ;
L’océan n’a plus d’alcyon ;
Chaque jour perd une minute,
Chaque aurore pleure un rayon.

 

La mouche, comme prise au piège,
Est immobile à mon plafond ;
Et comme un blanc flocon de neige,
Petit à petit, l’été fond.

 

Victor Hugo, Dernière gerbe


 

 

 

HAÏKUS LAVANDE

 

 

 

Un grand vent de fleurs

 

Caresse la plaine bleue :

 

Fragrance lavande

 

 

 

Jolis papillons

 

Empruntent à la lavande

 

Ses reflets d’azur

 

 

 

De mauve et de bleu,

 

Un océan de lavande

 

Ondoie au soleil

 

 

        Liliane Codant

 


JUILLET

 

Il vient d'arriver, ce fichu mois de juillet
Avec son cortège de journées ensoleillées
Et, de longues soirées, où la chaleur
Omniprésente, nous donne des envies d'ailleurs.
Le moindre souffle d'air, amène le bien être,
Et, pour l'emprisonner, on croise fenêtres
Et volets, vivant dans la douce pénombre
Juste, égayée des rais de lumière et d'ombres
Que créent les persiennes ajourées.
Et si certains, arrivent à aimer et savourer
Ces longues heures qui s'étirent, surchauffées
Je préfère de loin l'automne ébouriffé
Avec ses nuits fraîches et ses coups de vents
Laissant la plage et la chaleur aux estivants.

 

 

Dominique Sagne


Été

Et l’enfant répondit, pâmée
Sous la fourmillante caresse
De sa pantelante maîtresse :
« Je me meurs, ô ma bien-aimée !

 

« Je me meurs : ta gorge enflammée
Et lourde me soûle et m’oppresse ;
Ta forte chair d’où sort l’ivresse
Est étrangement parfumée ;

 

« Elle a, ta chair, le charme sombre
Des maturités estivales, —
Elle en a l’ambre, elle en a l’ombre ;

 

« Ta voix tonne dans les rafales,
Et ta chevelure sanglante
Fuit brusquement dans la nuit lente. »

 

Paul Verlaine